En 2017, la France adopte la première loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (LDV). Le pays se dote alors d’un cadre législatif unique et ambitieux, suivi de près par les commentateurs en France et à l’étranger.
Dans le cadre des débats concernant le projet de directive européenne instaurant un devoir de vigilance en matière d’impact sur les droits humains et l’environnement, quels enseignements peut-on tirer de l’expérience française ? Ces quelques considérations, non exhaustives, visent à en fournir un aperçu.
Alignement avec les PDNU
L’exposé des motifs de la LDV indique expressément se fonder sur les Principes Directeurs des Nations-Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PDNU). A l’heure de l’adoption de la loi, un certain nombre d’entreprises avaient déjà incorporé les PDNU dans le cadre de leur démarche « RSE. Une grande majorité des plans de vigilance publiés à ce jour s’y réfèrent directement. Cela étant, si la LDV s’inspire des PDNU, elle ne les incorpore pas pour autant dans le droit national : sur certains aspects, tels que le type d’entreprises concernées par la loi, elle s’en éloigne, et demeure succincte voire silencieuse sur des sujets tels que l’adoption de politiques internes ou la mise en place de mécanismes de réclamation au niveau opérationnel. Dans ce contexte, un alignement plus clair de la directive avec les principes clés des PDNU pourrait contribuer à apporter plus de clarté sur les exigences opérationnelles attendues des entreprises et renforcer la cohérence avec les autres mesures émergentes.
Définir des attentes qui vont au-delà de la conformité
Une revue des plans publiés au cours des trois exercices de la loi permet de relever des évolutions notables. Les premiers plans de vigilance, lorsqu’ils étaient publiés, s’attachaient principalement à décrire les politiques internes, instances de gouvernances et les méthodologies de cartographies des risques et autres actions d’atténuation et de prévention. Les rapports de suivi des dernières publications contiennent des éléments d’information plus spécifiques telles que des indication sur les pays et matières premières à risques, les formations dispensées mais aussi sur les litiges en cours. Cependant, celles-ci manquent encore de cohérence et s’apparentent plus à un exercice de conformité ou de « tick the box ».
Fournir des lignes directrices pour le reporting
La publication de lignes directrices officielles établissant un standard minimum en matière de reporting pourrait aider à minimiser les risques d’interprétation divergente. De plus, toute future directive pourra bénéficier des premières expériences nationales . Cela représente une opportunité de s’assurer que l’exercice de reporting soit un moyen pour les entreprises de démontrer leur connaissance et compréhension des droits humains ainsi que de leur rôle et responsabilité en la matière.
Développer le conseil et approfondir la réflexion sur les KPIs
La question d’un reporting de qualité doit être considérée à la lumière de celle des indicateurs de suivi et de performance (KPIs). En effet, le point d’achoppement des plans de vigilance, et plus largement du reporting en matière de droits de l’homme, demeure la production de KPIs Ceux-ci sont importants pour évaluer l’efficacité des mesures de vigilance, les progrès réalisés et (ré)orienter les actions de l’entreprise. Ces indicateurs doivent mélanger informations quantitatives et qualitatives. Notre expérience des déclarations faites dans le cadre du MSA indique que si les entreprises ont progressivement amélioré le développement et la publication des KPIs, ceux-ci tendent plus vers le qualitatif que les métriques. En accompagnement de la directive, un travail de fond devra donc être réalisé pour définir une liste de KPIs, aptes à rendre les informations publiées (plus) pertinentes et transparentes. Cela variera selon les secteurs et la géographie et les pratiques émergentes traverseront probablement les frontières.
L’opportunité d’établir un support institutionnel et une liste claire des entreprises concernées
Les ONG ont très tôt pointé du doigt l’absence de dispositions légales visant à la création d’une liste recensant les entreprises concernées et incitent régulièrement le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour plus de transparence. Un rapport d’évaluation de mise en œuvre de la LDV, commandé par le ministère de l’économie et rendu public en janvier 2020, reprend à son compte cette observation. Il recommande également la création d’un service d’état dédié : dans l’attente, ce sont les ONG qui occupent de manière informelle ce rôle de veille. Ces difficultés de recensement ne semblent pas être une spécificité française : au Royaume-Uni, le gouvernement a tenté d’y remédier en envoyant des lettres aux entreprises concernées les incitant à s’enregistrer sur une base de données et des propositions récentes suggèrent la création d’une base centrale. L’Australie quant à elle a développé un registre internet recensant les déclarations soumises sur base de leur MSA.
Développer un système fonctionnel de responsabilité et de sanctions en cas de non-respect
La LDV prévoit que tout manquement aux obligations de vigilance engage la responsabilité civile de l’entreprise. Les ONG et la société civile sont à l’origine des premières mises en demeure et/ou assignation en justice d’entreprises pour manquements présumés au devoir de vigilance, tant sur le volet droits humains qu’environnemental. Les décisions de justice à venir ont le potentiel de lever certaines zones d’ombre sur l’autorité compétente et les questions plus centrales de l’accès à la justice et aux réparations. En parallèle, un nombre croissant de parties prenantes met en avant le besoin d’une responsabilité pénale des entreprises et met en garde contre l’utilisation de la « due diligence » en tant que défense. De la même manière, les récents débats au sein du Groupe de travail des Nations-Unies indiquent une volonté de concentrer les efforts sur le Pilier III des PDNU. En établissant un régime de responsabilité propre à permettre aux victimes d’obtenir réparation des dommages subis, la future directive européenne contribuera au « smart mix » encouragé par les PDNU.
Créer un cadre réglementaire flexible et évolutif
Le champ matériel prévu par la LDV – et vraisemblablement toute future directive – couvre les droits de l’homme mais aussi les risques liés à la santé et la sécurité des personnes (et l’environnement). Récemment, l’impact social et économique de la crise de la Covid-19 a souligné l’importance d’un cadre réglementaire qui n’est pas trop prescriptif et capable de capturer de nouveaux risques et défis encore inconnus.